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Les Braises de Sándor Marai

Les Braises de Sándor Marai
Qu’est-ce que l’amitié ? Dans ce roman, qui est le plus connu de l’auteur hongrois, Sándor Marai nous invite à un huis clos entre deux amis qui se retrouvent après 40 ans.
Inséparables depuis l’enfance, pendant leurs années d’études, puis plus tard à l’Académie militaire, ils sont pourtant aussi différents que le jour et la nuit.
L’un riche, l’autre pauvre, cet atavisme est comme une barrière invisible entre eux mais de plus en plus épaisse.
À Vienne, Henry, qui est fils d’officier, papillonne et profite de la vie dans les soirées mondaines sachant que son chemin est tout tracé.

Conrad, lui, sans le sou, ne s’autorise qu’une vie austère, sans fête, avec comme seule passion le piano. Mais peu à peu leur conception de la vie, comme celle de la musique les sépare. Henri, en dilettante, n’aime « que celle qui fait paraître l’existence plus agréable, plus gaie, fait briller le regard des femmes et flatte la vanité des hommes. » Alors que celle qu’aime Conrad « éveille les passions, l’inquiétude humaine et, dans les cœurs et les consciences, le sens d’une vie plus profonde. »
Et alors qu’ils continuent à se voir quotidiennement et que Conrad vient dîner chaque soir dans la demeure familiale de son ami, et de sa femme, Christine. Un jour, tout bascule. Conrad s’enfuit sous les Tropiques et Henry se terre dans la solitude de sa campagne hongroise.
Un grand livre tout en pudeur où l’auteur dévoile avec lenteur et mystère ce qu’il s’est passé entre les deux amis.
Dans une très belle prose, dans la lignée d’un Zweig ou d’un Schnitzler, Sándor Marai analyse les sentiments avec délicatesse et traque les failles humaines.
Avec talent et finesse, il sonde les tréfonds du cœur humain et interroge si l’amitié ne peut pas parfois être aussi proche de la haine que l’amour…
Comme Zweig, l’auteur met également fin à ses jours, en 1989. Son œuvre est autorisée en Hongrie seulement depuis 1990.

Morceaux choisis

Ils en savaient davantage l’un sur l’autre que n’en savent mère et fils.

Dans le temps qui s’écoule, rien ne se perd. Mais, petit à petit tout pâlit, comme ces très vieilles photographies faites sur une plaque métallique.

Il y avait aussi (…) des aristocrates aux yeux bleus, au regard désabusé, comme si leurs ancêtres avaient déjà tout vu pour eux.

Il avait appris, chez lui, que le plus sage était encore de se taire.

Assise devant son miroir, elle observait sa beauté qui se fanait.

Henri apprenait facilement ; Conrad, avec difficulté, mais ce qu’il avait appris, il le retenait avec l’avidité de l’avare dont ce serait toute la fortune.

(…) Tout cela uniquement parce que je devais devenir un être exceptionnel, un chef-d’œuvre, ce qu’ils avaient été trop faibles pour réaliser eux-mêmes dans leur existence. Parfois, au moment d’agir, mon bras reste en l’air, inerte. Le sentiment de la responsabilité le paralyse.

Pourtant, Conrad disposait d’un refuge, d’une retraite cachée, où le monde ne pouvait l’atteindre : la musique.

La musique, il l’écoutait avec son corps, il l’absorbait comme assoiffé.

De ces sonorités, une force magique s’échappait, capable d’ébranler les objets, en même temps qu’elle réveillait ce qui est enfoui au plus profond des cœurs. Dans leur coin, les auditeurs polis découvraient que la musique pouvait être dangereuse en libérant un jour les aspirations secrètes de l’âme humaine.

Mais à cet instant, l’un et l’autre comprirent aussi que c’est l’attente qui leur avait donné la force de vivre au cours des dizaines d’années écoulées.

Le souvenir est un crible merveilleux qui filtre tout.

Pour la plupart, ils se turent toute leur vie.

Quoi qu’il en soit, aux questions les plus graves, nous répondons en fin de compte, par notre existence entière.

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