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Ma librairie » Critiques, ★★★★☆ - À lire » Le maître des âmes d’Irène Némirovsky

Le maître des âmes d’Irène Némirovsky

Le maître des âmes d’Irène Némirovsky

C’est l’histoire de Dario Asfar, un jeune Levantin, moitié grec et italien qui s’est sauvé de Crimée où sa mère le battait ; avec la fille d’un horloger, la jeune Clara qui n’avait alors que 15 ans. Ensemble, ils ont parcouru les gares d’Europe de l’Est, ont vécu en Pologne, en Allemagne, en espérant trouver une vie meilleure.

Par miracle, il est devenu médecin et c’est à Nice, là où personne ne le connaît qu’ils élisent domicile, espérant enfin manger à leur faim et vivre dignement.

Sa femme lui donne un fils, Daniel, qu’elle peut cette fois allaiter, pas comme leur enfant précédent qui mourut parce qu’elle n’avait pas assez de lait. Mais, Dario est criblé de dettes et désespère de trouver des clients qui le paient. Il soigne des gens dans le seul but d’obtenir ses gains. Mais, trop souvent, ne pouvant attendre, il demande une avance et ses patients finissent par trouver un autre médecin, moins pressant.

Un jour, en désespoir de cause, il s’adresse au restaurateur d’un grand hôtel dont il soigne le fils et lui demande de lui prêter de l’argent. Grâce à son habileté, l’homme  accepte. Dès lors, il va devenir son protégé et le médecin attitré de ses riches clients.

Et c’est ainsi que le jeune et pouilleux Asfar va être amené à soigner Monsieur Wardes, un riche industriel, alcoolique, et violent ; qui en plus d’être un joueur invétéré, souffre de maladie nerveuse. Mais il va également faire la connaissance de sa femme, la belle Sylvie qui n’est que douceur et gentillesse et qui va le regarder, lui, l’étranger méprisé, avec bienveillance.

Avec elle, pour la première fois de sa vie, il va se livrer et lui parler de la Crimée, de cette boue dont il vient et dont il a voulu sortir, de la noirceur de son passé haï… Mais, son besoin et son envie d’argent ne se feront que plus pressants.

Jusqu’au jour où il va réaliser l’influence qu’il peut avoir sur les êtres et surtout à quoi les riches sont prêts à payer pour qu’on leur dise ce qu’il veulent entendre.

Il va alors vendre son âme et jouer avec celles des pauvres sbires qui l’entourent. Il deviendra ainsi un docteur riche, que certains nommeront charlatan mais qui sera la coqueluche des femmes, qu’il recevra par dizaines dans son hôtel particulier de l’avenue Hoche.

Satyre sociale, Le maître des âmes dépeint la cruauté d’un monde où l’homme est un loup pour l’homme, avec cet être prêt à tout pour s’extraire de la pauvreté dont il vient.

Sous la plume acerbe et grinçante d’Irène Némirovsky, ce livre est une violente critique de la société bourgeoise des années 1930 avec ses cocottes écervelées et ses immigrés de l’Est sans le sou, prêts à tout pour s’enrichir.

Mais ce n’est pas un monde manichéen, l’auteur montre avec finesse la succession des petits choix qui ont amené cet être, désespéré, apatride, dont les pères ont toujours connu la faim, à devenir ce qu’il est, une âme perdue, prêt à tout pour offrir un autre destin à son fils, y compris exploiter la misère humaine.

Publié en 1939 dans le journal d’extrême droite Gringoire, ce roman, qui est le dernier paru du vivant de l’auteur, lui valut d’être taxée à tord d’antisémitisme. Rappelons qu’elle-même, née dans une famille juive qui avait émigré de Russie en 1917, fut déportée à Auschwitz en 1942 où elle périt.

La préface d’Olivier Philipponnat et Patrick Lienhardt lève complètement le doute et explique cette malencontreuse interprétation du livre.

Le maître des âmes d’Irène Némirovsky chez Folio


Morceaux choisis :

« Comment peut-on connaître ses grands-parents ? Tu te prends pour  une bourgeoise française. »

« Oui, vous tous, qui me méprisez, riches Français, heureux Français, ce que je voulais, c’était votre culture, votre morale, vos vertus, tout ce qui est plus haut que moi, différent de moi, différent de la boue où je suis né. »

« Je vis de la folie et de l’avidité des gens, et si je cesse de flatter leur folie, ils se détourneront de moi et me perdront. »

« Pour que tu puisses, toi, être honnête, désintéressé, noble, bon, sans tache, comme si tu étais né dans une de ces familles où l’honneur est héréditaire ! Tu n’étais pas destiné à être un honnête homme, toi, pas plus que moi, mais je t’ai donné tout cela, je t’ai fait cadeau de la culture, de l’honneur, de la noblesse des sentiments… Mon fils bien nourri, comblé de biens terrestres et spirituels, tu ne peux pas me comprendre. »

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